De : "Helene Reichardt" Objet : Les missions
jesuites Date : Mon, 27 May 2002 16:59:46 +0000 Bon, ca fait un bout de temps
que je parle de missions jesuites, et tout le monde me demande : qu'est ce que
c'est encore que cette idee bizarre, tu as trouve ta vocation ou quoi? Meme
les touristes qui ont voyage avec moi jusqu'a present, comme mes deux danois
favoris, n'en ont jamais entendu parler. Et pourtant, c'est sans doute l'une
des etapes historiques les plus interessantes. Alors, pour ceux qui n'auraient
pas vu le film "Missions", je m'explique! Du début du 16ème siècle jusqu'à la
fin du 18ème, la région tropicale de Santa Cruz était contrôlée par les missionnaires
jésuites. Ils mirent en place dans l'Orient Bolivien des Reducciónes, considerees
comme les plus importantes d'Amérique du Sud. Dans les régions indigènes les
plus reculées du continent, en pleine forêt tropicale, ils developperent une
organisation sociale nouvelle et totalement autonome. En fait, l'objectif des
moines etait de purifier, via abnegation et ascetisme, l'Eglise catholique qui
s'adonnait aux pillages et aux ripailles depuis que la Conquete lui garantissait
argent et serviteurs. Les jesuites developperent les arts, la musique, l'architecture,
et permirent aux indiens de retrouver leurs techniques primitives, chose que
les espagnols avaient banni et interdit. Ils supprimerent egalement la pratique
du latifundio, distribuant les terres aux indiens pour leur pratique personnelle
comme pour l'usage de la collectivite. Une sorte de communisme avant-guardiste
et ameliore en quelque sorte, ou l'usage de l'argent etait prohibe, les specialisations
savemment reparties, et les businessmen en attache-case interdits de sejour.
Les commercants devaient negocier depuis des hotels situes a bonne distance
du village! L'expérience cessa avec l'expulsion de la Confrérie du continent
au 19ème siècle. La Courone espagnole dut en effet ceder aux pressions des grands
proprietaires creoles. Les indiens des missions furent chasses, assassines ou
vendus sur les marches d'esclaves du Bresil. Les bibliotheques des jesuites
servirent de combustibles pour les grands fours ou se virent transformees en
cartouches de poudre. Triste destin pour ce qui etait, semble-t-il, la meilleure
et peut-etre la seule tentative reelle d'integrer la culture indienne a la culture
europeene, dans une utopie de syncretisme religieux et culturel. Les villages
que nous avons visite, aux confins de la frontière brésilienne, ont l'air d'avoir
ete figes par le temps depuis 200 ans. Ils sont tous concus selon le meme modele,
regroupant des maisons très simples autour d'une place centrale. Sur chaque
place centrale s'élève une église, entièrement construite en bois de forêt a
l'origine. Certaines sont quasiment intactes, d'autres furent detruites et reconstruites
plus ou moins fidelement a leur modele d'origine, selon une architecture baroque
assez surprenante pour le pays. Elles furent déclarées Patrimoine de l'Humanité
par l'Unesco en 1992. Ca y est, je teins mon quarte gagnant, aucun des sites
Unesco ne m'aura echappe en Bolivie! Peut etre est-ce du a la chaleur, ces villages
se trouvent dans une region pre-amazonienne ou nous etouffons, mais tout semble
se derouler au ralenti, les gens sont d'un flegme sans pareille, c'est toujours
l'heure de la sieste ici, et le symbole du village est certainement l'horloge
de l'eglise... qui a cesse de compter les heures depuis belle lurette! Un leger
accent bresilien lorsqu'ils parlent espagnol, un type physique tres different
egalement de celui de l'altiplano, plus grands, plus elances, un peu moins types
indiens. Sans doute plus de metissages avec les europeens, paradoxalement, apres
le depart des jesuites. En fait, il me semble decouvrir un nouveau pays, a croire
que les zones climatiques changent du tout ou tout le physique comme le comportement.
Les vieille boliviennes parcheminees de l'altiplano aux visages fermes et a
la litanie invariable, tres rarement accompagnee de sourire ("cinco bolivianos,
cinco bolivianos!"), font place aux jeunes filles souriantes habillees a l'europeenne
et a la legerete de moeurs. Deux mondes inconciliables au sein d'un meme pays!