Voyage au coeur du desert
entre Chili et Perou
5 Mai 2002
sujet : Voyage au coeur du desert
Le lendemain matin, Camilla et Rasmus partent directement a San Pedro
d'Atacama, dans le desert chilien. La perspective de 25 heures de bus ne me
rejouit pas, et j'opte quant a moi pour la version longue du trajet, en me
menageant des pauses dans les villes intermediaires. Mais aucune d'entre
elles ne justifie vraiment le deplacement, ni Copiapo, ni Calama, et je
finis par rejoindre mes deux danois plus rapidement que prevu.
A San Pedro, la encore je n'aurais pas envie de m'attarder, c'est une ville
faite de toutes pieces pour les touristes, a peine 1000 chiliens y habitent
en permanence, et le reste est infeste de touristes comme nous! Je le savais
avant de venir, mais la perspective de decouvrir le desert d'Atacama et de
passer 3 jours de 4X4 a l'ecart de toute civilisation pour gagner la Bolivie
m'avait fait oublier ce detail, redhibitoire en principe. Je ne passerai
donc que deux jours a San Pedro, juste le temps d'aller decouvrir la Valle
de la Luna un soir de pleine lune et de diner dans un restaurant ou les
serveurs musiciens jouent de la guitare autour du feu entre deux assiettes
debarassees.
Rasmus et Camilla, arrives avant moi a San Pedro, ont eu le temps de
rencontrer suffisamment de gens pour constituer un groupe d'amateurs pour
la
traversee du desert en 4x4. Lorsque j'arrive, le groupe est deja constitue,
le depart fixe, et l'agence proposant le meilleur prix selectionnee. Je n'ai
plus qu'a m'y joindre, sans effort aucun!
Nous serons douze au final, 6 par 4X4. Au dela des danois, 4 neo-zelandais,
deux anglais, un texan, une irlandaise et un israelien seront de la partie.
Aucun d'eux ne parle espagnol, et je suis nommee traductrice en chef, ce qui
me permet de parler plus longuement avec les guides boliviens, et d'avoir
un
apercu du pays et de ses differentes mentalites en avant-premiere.
Deux guides et un cuisinier nous accompagnent. C'est evidemmment avec le
cuisinier que je parle le plus (quelle surprise!), et j'apprends avec
tristesse a quel point il deteste faire ces allers-retours dans le desert,
et pourquoi il y est condamne. Il y a un an, il etait chef cuisinier dans
un
grand hotel de La Paz, ou il gagnait 600 dollars par mois, ce qui est enorme
pour le standard local. Pour etre chef, il faut faire une ecole de cuisinier
de 5 ans, et de preference avoir une experience internationale. Il a ainsi
etudie au Perou et en Uruguay, a ete diplome il y a deux ans, puis a
travaille un an dans un hotel 5 etoiles... Jusqu'a ce que son diplome lui
soit derobe.
En Bolivie, faire refaire un diplome coute 1500 dollars. Il ne pourra pas
exercer en tant que chef tant qu'il n'aura pas reuni cette somme. Mais comme
personne ne veut l'embaucher plus de 2 mois sans diplome, il est condamne
a
travailler comme cuisto itinerant pour les touristes, et ne supportant pas
ces allers-retours, il tombe malade une fois sur deux au cours de ces
voyages.
Pour mieux comprendre, il faut savoir que ce trajet entre San Pedro
d'Atacama et Uyuni nous fait passer d'une altitude de 2200 metres du cote
chilien a 4900 metres du cote bolivien, et que la premiere nuit se passe
dans un refuge a 4600 metres. Peu d'entre nous ont reussi a fermer l'oeil,
la respiration est difficile, le coeur bat tres vite, chaque pas fait
transpirer. Millord, le texan, nous fait une crise de tremblement et de
vomissements. Cela arrive parait-il a chaque fois dans chaque groupe de
touristes, mais nous nous inquietons tous devant la paleur de l'americain,
qui ne quitte pas son lit pendant 15 heures. Heureusement, l'irlandaise est
pharmacienne et l'un de neo-zelandais est veterinaire, la fine equipe!
Apres un beau scandale fait aupres des guides qui nous avaient pourtant
garanti une bouteille d'oxygene, malencontreusement laissee a San Pedro,
tout finit par rentrer dans l'ordre. Ils nous preparent des infusions a base
de feuilles de coca, seul remede efficace contre les maux d'altitude, et
nous passons la nuit tant bien que mal. Sur 12 personnes, aucun ronfleur..
Personne n'aurait-il donc ferme l'oeil?!
Le lendemain matin, nous nous remettons en route pour des altitudes un peu
inferieures, les maux de tete passent, Millord reprend des couleurs, et nous
sommes enfin en etat d'apprecier la splendeur des lagunes qui defilent, de
toutes les couleurs, laguna colorada, laguna verde, laguna de los flamengos,
peuplees de flamands roses. Chaque laguna porte un nom tres bien trouve, la
"laguna qui sent mauvais", la "laguna profonde", la "laguna
cuvette", etc..!
Puis se sont les volcans, en activite ou non, dont un versant est chilien,
l'autre bolivien, que nous longeons ou decouvrons au loin. Et enfin, les
salars, gigantesques etendues salees, de quelques centimetres jusqu'a 70
metres de profondeur pour le salar d'Uyuni, le plus grand du monde selon
notre guide. De ce salar sont extraits des quintaux de sel destines a la
consommation nationale ainsi qu'a l'exportation. Un hotel de sel a ete
construit au milieu de ce lac sale, avec des murs, des fauteuils et des lits
de sel. 50 dollars la nuit pour faire des reves sales, mais nous n'avons pas
teste. Quoi de mieux en effet que les dortoires a 12 dans un refuge sans
douche ni electricite?! Et sans chauffage, bien sur, par moins cinq degres,
c'est tout a fait appreciable!
Apres cette experience de chroniques martiennes, nos hollandais repartent
a
velo sous la pleine lune, a la recherche d'un terrain de camping ou passer
la nuit. Wolgang et moi regagnons notre auberge plus civilisee, et
rencontrons un couple de danois que ne renierait aucun Wiking. Je les
prenais pour des suedois a defaut de connaitre d'autres danois, mais la
preuve en est faite qu'ils descendent de la meme tribu, avec leurs
chevelures d'albinos et leurs yeux translucides!
Wolgang repart sur la Serena le lendemain, j'accompagne quant a moi Camilla
et Rasmus a la Pisqueria locale, la Pisco Chapel, pour decouvrir le
processus de distillerie du Pisco, boisson favorite des chiliens. Et
favorite, de loin : notre guide nous explique que 36 millions de bouteilles
sont issues chaque annee de ce processus centenaire, et que sur ce chiffre,
10% a peine vont a l'exportation! Le Pisco fait entre 35 et 50 degres selon
les distillations, et se melange comme du gin ou du whisky, avec tous les
soft drinks possibles et imaginables, a toutes les fetes, toutes les
celebrations, tous les aperos. C'est un peu la Kro locale, pour faire court!
Rasmus se fait une joie de passer a l'etape de la degustation, mais dechante
bien vite. Comme l'Appel Wein, il faut sans doute en boire une demi-douzaine
avant de trouver ca bon. Espece de liqueur de sucre a l'arriere gout
etrange, ca ne plait pas au premier venu. Mais a defaut d'aimer le pisco,
nous en ressortons avec des grappes de raisins bacchusiennes, que nous ont
offert les employes de l'usine sans doute seduits par les cheveux d'or de
Camilla!
Legerement emeches tout de meme, nous profitons de cet etat propice pour
decouvrir le musee Gabriela Mistral, grande poetesse chilienne, autre fierte
de Vicuna puisqu'originaire de la region. Avec Pablo Neruda, Gabriela
Mistral est la seule personnalite chilienne dont la gloire a traverse les
frontieres. Prix Nobel de litterature en 1945, puis ambassadrice de son pays
au Mexique, en Europe, elle a combine carriere litteraire et carriere
diplomatique, ce que peu de femmes ont eu la chance de realiser a l'epoque.
Celebree par beaucoup de chiliennes comme la premiere feministe du pays,
elle n'a pourtant pas combattu sous ces bannieres, mais les chiliennes
aiment y croire. A defaut d'autres heroines feminines!
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