Le Cotopaxi
Objet :
Le Cotopaxi
Date :
Wed, 31 Jul 2002 13:38:32 +0000
A moi de passer une nuit de tortures intestinales, et nous sommes partis.. pour les 5 derniers petits jours de vacance de Philippe ! Il va falloir optimiser, et nous faisons le choix de Banos comme point de depart de nos explorations, pour ne pas perdre trop de temps en heures de bus et recherches d’hotels. Depuis Banos, tout est possible : la jungle, la montagne, la randonnee, le VTT, l’escalade, et l’ascension des volcans alentours. Une journee VTT de mise en condition, une seconde de randonnee pour decouvrir le palace d’un compatriote franco-suisse de Philippe, et nous nous sentons prets pour le defi de l’annee : l’ascension du Cotopaxi, ou second volcan equatorien par sa taille. 5897 metres, a atteindre en deux jours.
J’ai beau mettre Philippe en garde sur la difficulte de tout effort physique en altitude et de son manque de preparation, il ne se laissera pas impressionner par si peu, et decide qu’une cure de Diamox saura suffisamment preparer son corps a la rarefaction de l’oxygene. Le Diamox, pour info, c'est le medicament le plus fort qui soit pour prevenir les maux d’altitude, et est compose majoritairement.. de la molecule etudiee par Marie-Cecile pendant sa these ! Nous etions donc en famille, meme si Marie avait, elle, prefere s’abstenir, et ne pas avaler sa copine molecule aussi froidement !
Pas d’etat d’ame pour Philippe en revanche, qui ne se fait aucun cas de conscience a gober un Diamox trois fois par jour, pour avoir une chance de survivre au choc atmospherique. Il se lance ensuite dans une petite cure vitaminique, sels mineraux, Gatorade, reduction des apports lipidiques, consommation chocolatiere reduite au quart.. Inspirez, expirez, inspirez, expirez.. Meditation transcendentale. Le corps est prêt, l’esprit en levitation.. Nous pouvons partir !
Cette fois-ci, nous faisons appel a un guide specialise, c’est incontournable pour la grande aventure des volcans, qui nous fournira tout l’attirail de l’alpiniste aguerri. Premiere couche composee de nos habits normaux, seconde couche de polaire integrale : pantalons polaires, cagoule polaire, gants polaires. Troisieme de gore-tex, et quatrieme des ustensiles indispensables : crampons, lampe-torche et piolet. Nous sommes pares ! Nous quittons donc Banos pour deux jours d’ascension. La premiere journee doit sans surprise se composer d'une marche d’approche jusqu’au refuge a 4800 metres, et la seconde, qui debutera a minuit, nous emmenera jusqu’au sommet... si Dieu le veut bien !
La petite marche d’approche du premier jour traumatise Philippe d’entree de jeu. « je vais mourir demain, c’est sur, je vais mourir ! ». Une petite gorgee de Gatorade, concentration intense sur le lever de pied, et on repart. Le guide fait de petits pas reguliers, nous encourage : « si on va lentement, on arrive a tous les sommets ! ». Puis nous seme, fatigue de forcer sa lenteur, et galope jusqu’au refuge ventre a terre, pour « preparer la soupe » !
Arrives au refuge, nous pensions deja pouvoir commencer notre nuit a 16h, anticipant l’heure de lever a minuit la nuit suivante. « C’est leur grand truc, ca, se lever a minuit ! », me dit Philippe, avec un petit rire jaune. Mais a 16h, pas question de se reposer. L’ecole de glace commence. Certains groupes de touristes, venus avec d’autres guides plus clements, nous expliquent qu’ils y couperont, leur guide preferant les garder frais comme des gardons pour la grande epreuve du lendemain.
Mais Julian, notre bourreau, sera inflexible : il ne nous emmenera pas au sommet si nous ne connaissons pas les rudiments du cramponnage et de la marche sur glace. Moi ca va, merci, je connais bien, je me suis d'ailleurs cassee la cheville sur un glacier suisse il y a quelques annees .. en faisant une ecole de glace, justement ! Mais il a raison, un petit raffraichissement des idees et des doigts de pieds ne me fera pas de mal, alors allons-y gaiement !
Philippe en revanche fait son bapteme de cramponnage, il se surnomme interieurement « El abuelo » (le papy), a se voir tatonner et cramponner sans conviction, muni d’un piolet-canne capricieux. Nous sommes les derniers touristes a batifoler sur le glacier a la tombee de la nuit, derniers heros acharnes avant de pouvoir nous adonner au maigre repos imparti, entre 20h et minuit.
Mais une fois etales comme des souches sur les paillasses et momifies dans nos sacs de couchage, nous nous apercevrons bien vite de notre malheur : nous sommes cernes, entre une hollandaise vomissante qui ne supporte pas l'altitude et un affreux bambin enrhume qui ne parvient pas a evaluer les limites de sa paillasse et prefere finir sa sieste sur moi.. le repos s’annonce difficile!
Philippe est philosophe, il git sans une plainte sur sa paillasse, pas un mouvement, pas un grognement, je me demande si le Diamox a vraiment fait son effet et s’il respire encore. Mais oui, il ne fait que se concentrer pour ne pas ecouter les vomissement de la hollandaise, cela risquerait d’attiser les siens, et se prepare psychologiquement a la Jacques Maillol pour une descente en apnees. Sa casquette depasse a peine du sac de couchage, Philippe a ecoute la recommandation du guide de ne pas nous decouvrir la tete car la chaleur part par la en premier.. au diable le ridicule, je degaine moi aussi mon bonnet peruvien, on en est tous la !
Les 4 heures de gisement passent on ne sait pas trop comment, pas ferme l’œil bien sur, et tout le refuge se met en branle-bas de combat a l'heure des braves. Cendrillons des montagnes, nous retrouvons nos escarpins dores, nous mettons sur le pied de guerre malgre un vent a decorner un bœuf, une temperature descendue a –25 degres, et des rafales de givres qui nous collent au visage a peine sortis du refuge. Toutes les cagoules polaires du monde n'y feraient decidemment rien, nous gelons, et ca ne fait que debuter!
Nous commencons a marcher comme des bagnards, en file indienne, dans le silence de la nuit et de la pleine lune, heureusement qu’elle est la celle-la, nous n’avons presque pas besoin d’allumer nos lampes torches, elle eclaire tout le chemin. Une heure sur la caillasse, la terre friable, la boue durcie.. « Il n’y a jamais de plat?? », me demande Philippe haletant, d’un cri eparpille par le vent. Eh non, jamais de plat, c’est un volcan, pas de plaines et de vallees, ici le but du jeu : c’est grimper ! Grimper, grimper, grimper, ca pour sur, nous grimpons, et le piolet sert bien, plus seulement accessoir de decoration a l’arriere du sac !
Apres la caillasse, nous touchons a la calotte glaciere. C’est l’heure des crampons, et l’abuelo Philippe peut se remettre en selle ! Cette fois-ci, c’est rellement parti : 8 heures de grimpe en cordee serree, cramponnage sur paroi verticale, passages de crevasses, grottes aux stalactites, stalacmites, et miroirs bleus aux alouettes. Le jour se leve vers 6 heures du matin, mais cela ne facilite rien, bien au contraire, car la tornade se leve en meme temps. Couches de givres successives sur nos lunettes, aveuglement, chutes, ramassage, redepart, decouragement, prieres adressees a l’esprit du volcan. Conditions extremes, selon le guide lui-meme, qui ne se souvient pas avoir connu telles intemperies depuis longtemps, ses dernieres expeditions s’etant toutes passees dans la joie et la bonne humeur !
Nous voyons l’ensemble des groupes qui nous ont precedes rebrousser chemin les uns apres les autres, quelques vaillants seulement se sont accroches et nous ont devance sur la course au sommet. Philippe se tord en deux, se tient le ventre, cherche de l’air, mais le Gatorade nous sauve une fois de plus, quelques gorgees et il n’y paraît plus, aller, encore un petit effort, on y est presque. Derniere ligne droite, mais les bourrasques de vent et de givre s’intensifient, nous passons un col neigeux et sommes balayes violemment par un cyclone cache derriere le mur glaciaire, nous sommes immobilises un long moment par une barriere venteuse. Puis reprenons, luttant contre la force qui cherche a nous clouer au sol. Je m’arrame a mon piolet, premiere fois que je regrette de ne pas faire 120 kilos pour tenir au sol.
Enfin, nous passons le col, le vent s’est apaise, nous reprenons l’ascension, ultime effort avant de toucher le sommet. Ultime effort, sauf que notre guide commet l’erreur de preciser que ces derniers 100 metres de deniveles se feront en 1 heure au bas mot. Sur cette parole malheureuse, les dernieres forces de Philippe s’envolent, le Diamox a beau s’etre avere d’une efficacite redoutable, ce dernier challenge paraît insurmontable, d’autant que nous devons encore compter avec les 3 heures de descente, dans un etat de fatigue avance. Il est 8h30 du matin, la neige va d’ailleurs commencer a fondre et rendre le cramponnage plus ardu, et le guide lui-meme est d’avis de ne pas tenter le diable. Nous entamons donc la descente, dans de nouveaux flots venteux et tornades de neige, aucun regret quant au sommet, nous n’aurions rien vu du panormama dans tous les cas !
Les 3heures de descentes nous paraissent une bagatelle, Philippe a repris toute sa vigueur, nous gambadons dans la glace et la neige, qu’importe desormais si nous ne voyons rien a travers nos lunettes gelees, c’est toujours plus facile de trouver la piste retour que la piste aller, et nous depassons tous les groupes de rescapes, a la grande joie du guide qui paraît aussi epuise que nous!