CHILI

(28/1- 1/03/2002)


Ma famille d'adoption

A l'arret de bus de santiago m'attendent Giuliana et Luigi, armes d'une grande pancarte mentionnant mon nom. Cela fait bien rire mes deux comperes footballeurs, persuades que seule la gringa peut avoir un nom pareil!
Eh oui, c'est bien moi, et je me precipite vers ma nouvelle famille d'adoption, un peu etonnee quand meme de ce qu'une peruvienne me depasse d'une tete. Je m'attendais a voir debarquer une petite brune, et me voila face a une geante d'1m82, au type franchement italien. Comme l'indiquent leurs prenoms, ils sont effectivement de descendance italienne, mais cela remonte a l'arriere grand-pere.

Giuliana presente de plus une ressemblance etrange avec l'actrice de wonderwoman, souvenez vous, celle qui fait la toupie et revient sur terre sans ses lunettes mais avec un lasso a la place! Giuliana, elle, n'a pas besoin de faire la toupie pour quitter ses lunettes. Il me suffit de degainer mon appareil photo, et ses lunettes disparaissent d'un coup de baguette magique!

Luigi a moins de chance que sa soeur, il n'a pas herite des genes europeens, est nettement plus petit qu'elle, et ne se transforme pas plus en bioman. Il est pourtant bien determine a perdre son embompoint a coup de footings quotidiens au Cerro Saint-Christobal, une colline au coeur de Santiago, ou il se rend chaque soir pour courrir une bonne heure.

La famille habite un peu a l'exterieur de la ville, dans un quartier ("communa") "middle-class", comme ils le qualifient eux-meme, portant le nom de Nunoa. Il semble tres important de mentionner le terme "middle class", de maniere a mettre les etrangers en confiance!
Lorsque je pose un pied dans la petite maisonnee, la mama edentee m'accueille avec un grand sourire, me met a l'aise tout de suite en me montrant les lieux et englobant la maison d'un geste, me dit : "Tu casa!".

Les trois travaillent de concert, ils ont mis au point une vraie petite entreprise familiale, multi-fonctions. Leur premiere casquette est de concevoir et commercialiser des logiciels informatiques pour les petits commercants du quartier. Luigi conceptualise, Giuliana vend, et la mama fait le standard telephonique.
Dans le cadre des etudiants en espagnol qui restent chez eux quelques jours ou semaines, Giuliana donne les cours, Luigi complete si besoin, et la mama prepare les repas.
Et puis, la troisieme casquette en cours d'elaboration est l'agence de voyage. Luigi prepare les packages voyage, Giuliana commercialise, et la mama.. On ne sait pas encore, mais elle trouvera bien un role actif!
Les trois s'entendent manifestement tres bien, chose rare pour des gens qui ne se quittent jamais et travaillent ensemble. Il n'y a aucun heurt, et la bonne humeur ne faillit jamais.

La famille a emigre au Chili il y a 9 ans, suite au deces du frere aine, assassine par les terroristes peruviens qui sevissaient dans les annees 80- debut 90. Ils ne sont pas les seuls dans ce cas, beaucoup de peruviens ont pris la fuite, et beaucoup se sont diriges vers le Chili de l'apres-Pinochet, qui presentait un visage de stabilite plus durable que le Perou de l'epoque. Ajoutons a cela que le niveau de vie et les salaires chiliens sont plus attrayants que leurs contreparties peruviens, et cela explique largement l'etendue de la communite peruvienne a Santiago. Beaucoup de Chiliens le deplorent, et on voit se developper le meme type de ressentiment que le racisme francais anti-arabes. Le taux de chomage chilien serait de 18%, si mes amis chiliens disent vrais, et bien sur, ce sont ces affreux peruviens qui leur volent leur emploi.. Le refrain est connu!

Pourtant, il n'est pas facile de passer d'un pays a l'autre pour travailler. L'obtention de visas de travail est, semble-t-il, tres difficile, et ce n'est pas parce qu'ils parlent tous la meme langue que les inter-migrations sont facilitees. Le peruvien rencontre dans le bus de Buenos Aires avait la chance de travailler en Argentine les dernieres annees, mais suite a la crise, retourne au Perou.. Sans beaucoup d'optimisme.

Pourtant, ma famille d'accueil vente les merites et les richesses du Perou, a l'economie et a la politique stabilisees et assainies depuis l'ere Fugimori. Un proverbe qui tient a coeur a la mama est : " Le Perou est un mendiant assis sur un banc d'or!". Elle me le repete a plusieurs reprises, attristee par l'incapacite du pays a se prendre en main pour se sortir de sa pauvrete. Le pays contient encore de l'or, beaucoup de richesses naturelles, et un potentiel touristique enorme de par les ruines incas et les sites historiques comme le Machu Pichu, encore sous developpees.

Si Luigi veut reconvertir sa mini entreprise informatique en agence touristique, c'est qu'il estime justement que le tourisme a destination du Perou deviendra une mine d'or d'ici quelques annees. Je lui objecte que c'est deja le cas, mais il m'assure qu'il connait bien des lieux et sites archeologiques meconnus du grand public, et qu'il a en plus invente un concept de marketing tout a fait novateur. J'ai beau user de ruses et de charmes, il ne vendra pas la meche, et j'ignore toujours son concept! Mais il me propose de devenir son agente pour les pays europeens, de vendre ses packages au troisieme age francais! Alors, seulement alors, je pourrais etre mise dans la confidence. En attendant, le suspense reste entier!

De maniere a developper son idee, Luigi veut partir sac au dos a la reconquete du perou, arme de tout son materiel video numerique pour developper son site internet. Pour se faire, il s'est mis en tete de perdre 10 kilos, afin de ne pas porter plus qu'il ne porte actuellement. Tout ce qu'il perdra du cote ventre se retrouvera sur son dos! Sage decision, et je decide de faire de meme, pour pouvoir aussi jouer au cabri sur les sommets du Perou et de Bolivie! Je pars donc m'acheter des chaussures de marathonienne et l'accompagne desormais dans ses footings du soir sur le Cerro San Christobal. Au dela de la souffrance, le spectacle de la ville plongee dans une semi obscurite et des lumieres qui s'allument peu a peu est magnifique, et parvient a me faire oublier un instant mes muscles en decomposition!


Marketing touristique


Avant meme de me reconvertir en agente touristique, j'assiste Luigi dans l'elaboration de son ciblage marketing. S'il veut vendre le Perou a l'Europe, il lui faut d'abord en savoir plus. Il ne connait rien de ce continent, et evolue lui aussi dans le mirage de l'Europe milliardaire. Il part avec un cout de 2.500 dollars par personne pour un voyage de 2 semaines au Perou, et me demande si tout le monde peut se l'offrir! Je lui remets les idees en place, et lui brise un peu son reve, en lui apprenant quelques realites et notions de bases sur l'Europe : salaire moyen, taux de chomage, echanges scolaires, ecoles de commerces et d'ingenieurs, universites, voyages de fin d'annees, quels parents peuvent payer, quelles destinations, etc..

Puis, je lui detaille les groupes cibles. Les francais, car bardes de vacances et de RTT. Et puis, de preference, le 3eme age, pour des tours culturels. Les allemands pour des tours sur-organises "alles inklusiv", bier y compris! Les anglais, jeunes surtout, pour des idees de rafting canyoning, avec la possibilte de se rompre quelques vertebres en cadeau bonus, etc.

Il y a deja de quoi faire, et j'ai passe le premier echelon de mon certificat d'agent de voyage!

Et accessoirement, des cours d'espagnol!


Au dela de me sculpter un nouveau corps d'athlete et d'assister Luigi dans son ciblage de groupes touristiques europeens, je suis aussi
la pour apprendre l'espagnol, il ne faudrait pas que j'oublie! Mais pour ca, aucun risque, Giuliana veille au grain, et reprend Luigi en permanence lorsqu'il me parle anglais. Son anglais est de toute facon bien aleatoire, et l'espagnol reste preferable pour avoir une chance de se comprendre. Helas, il s'improvise en professeur d'anglais pour Giuliana, et j'aimerais lui demander d'arreter le massacre pour ne pas plus lui saboter ses debuts.. Mais helas, le mal est fait!

Avec Giuliana, j'ai des cours "officiels" 4 heures par jour, de 9 heures a 13 heures. Puis, inofficiellement, tout le reste de la journee. Elle est une professeur hors paire. Ne parle pas, ou presque pas anglais, mais est passee maitresse dans l'art de la mime et de la suggestion. Me fait aussi bien le canard que le crapaud, et s'assomme contre le mur pour me faire comprende le terme " se faire mal". Je dois la ramasser a la petite cuillere apres ses cours, mais au moins, j'ai compris le message! Je lui propose de songer a une nouvelle carriere de mime de rue, elle aurait un succes certain!

Puis, elle me fait emporter mon calepin de vocabulaire au supermarche pour que je note la traduction de citrouille, coquilles saint-jacques, melon ou saucisson! J'emporte aussi mon carnet au musee, a table.. Pas un moment de repit, a l'image de la mama qui menace de me faire faire des dictees! Luigi aussi s'y met, et j'ai heureusement plus de confiance dans son enseignement de l'espagnol que de l'anglais! Il est en periode creuse au niveau de l'informatique, puisque nous sommes au coeur de l'ete ici et que les commercants sont en vacance pour la plupart. Me voila aisni nantie de trois professeurs entierement devoues a ma cause. Je n'aurais pas pu mieux tomber, preuve que les aleas d'internet font parfois des merveilles!

En quelques jours, je peux m'illustrer par de bonnes blagues bien grasses et de mauvais jeux de mots, signe que je pourrai bientot voler de mes propres ailes. Je suis loin de parler avec aisance, mais je parviens du moins, avec plus ou moins de circonvolutions, a me faire comprendre, et saisir de maniere synthetique le sens des reponses. Cela suffira pour un debut, et je devrais etre en etat de voyager avec ca.

Mais le depart me pese, l'ambiance familiale etait excellente, et j'ai peine a refaire mon gros sac. Finalement, je decide de fixer mon depart au vendredi, de maniere a arriver chez Isabelle une veille de weekend et profiter ainsi avec elle de ses deux jours de treve.

Dans la serie des idees de reconversion..


Dans le bus qui m'emmene de Santiago a Los Angeles, mon voisin septagenaire developpe une nouvelle idee lumineuse pour ma seconde vie. Plutot que de rester enfermee 15 heures par jour dans un bureau sordide, ce qui lui semble impensable, pourquoi ne pas plutot acheter une parcelle de terrain au Chili, quelques vaches, poules, cochons, et me lancer dans l'elevage et l'agriculture?

Je me demande s'il se moque de moi, mais pas du tout. Il continue en me disant que je suis bien batie, et que je pourrais tout a fait devenir agricultrice! Il a tout de suite remarque mon potentiels, ma carrure de bonne paysanne heritee de meme, de la bonne chair a mettre aux champs! Pourquoi n'y ai-je pas pense plus tot? Il me suffisait d'ecouter mon atavisme, et mon bonheur etait assure!

Los Angeles et Concepcion


Welcome in L.A, here is Chilihood! La seule petite difference entre L.A americaine et L.A. chilienne est une bagatelle de 10 millions d'habitants! Mais heureusement, Concepcion, la deuxieme grande ville du Chili, n'est qu'a deux heures de route, ce qui sauve les weekends d'Isabelle! Si elle a demenage a Los Angeles, c'est qu'elle se rapprochait ainsi de 2 heures de son bureau, ce qui n'est pas negligeable lorsque l'on sait qu'elle se leve a 6h15 tous les matins.

Nous passons le vendredi soir a Los Angeles, puis partons pour Conception des la premiere heure le lendemain matin. Nous y retrouvons Freddy, ainsi que Victor et Monica, avec lesquels nous partons sur les plages industrielles des environs de Concepcion, les anciennes mines de charbons, et une reserve botanique. Ce n'est pas franchement renversant, mais cela a le merite de me montrer les rassemblements populaires dont me parlait Isabelle, les segregations par classes, triees par nom de famille ou par quartiers.

Le long du bord de mer, les familles viennent manger des empanadas, des fruits de mer ou des glaces. Un seul denominateur commun : le gras. La cuisine chilienne est peu raffinee, il suffit de faire frire et le tour est joue. Les ravages de ce regime alimentaire se constatent rapidement sur la plage, ou les enfants obeses sont la loi generale. On ne tardera pas a se fondre dans la masse d'ailleurs, apres le dejeuner de "specialites locales" que nous faisons et qui nous cloue a nos sieges pour la moitie de l'apres-midi!

L'industrie miniere est le berceau de Concepcion, et les villages environnants ont un petit air du Nord Pas de Calais, regroupement de chomeurs qui n'ont pas trouve de reconversion possible apres la fermeture des mines. L'impression generale est cependant moins glauque que dans le nord de la France, grace a l'amour des couleurs que les chiliens manifestent dans tout le pays. N'importe quelle baraque en bois arbore une couleur particuliere, et les villages qui pourraient etre les plus insipides deviennent un patchwork de rose, orange, vert pomme ou turquoise, de quoi faire oublier la grisaille d'une vie de chomeur.

Evolue-t-on encore apres 17 ans?

C'est la question que je me pose en faisant la connaissance de Jaime, dans le bus me menant de Los Angeles a Puerto Montt. Je pense a Rimbaud, au zenith de son genie createur a 17 ans, et me demande si on progresse encore reellement au dela de cet age. Jaime est un genie multi-facettes a 17 ans, et je ne parviens pas a l'imaginer dans 10 ans. En l'espace de 6 heures de voyage, il me donne des cours de solfege, d'espagnol, d'instruction civique et de sciences politiques chiliennes.

Il me fait lire a haute voix des articles de journaux pour me reprendre sur mon accent, me demander d'expliquer des nuances, la signification de mots a double sens. Puis sort de sa poche une partition de musique qu'il disseque pour m'apprendre les bases du solfege. Et enfin, dresse un inventaire complet des partis politiques chiliens et de leur historique.

Je suis impressionnee par tant de science, et encore plus par sa patience et son envie d'enseigner. Je lui demande s'il veut devenir professeur. Non : psychologue! Pourquoi pas, cela lui ira tres bien aussi! Je le quitte avec regret lorsqu'il descend avant moi a Osorno, et reste songeuse sur l'evolution a venir d'un petit genie..

Mes reflexions se perdent dans le paysage magnifique qui defile devant mes yeux, entre Osorno et Puerto Montt. Des lacs et des volcans, le soleil se couche et rougit les sommets enneiges, les volcan d'Osorno et de Cabulco se couvrent de rose, le vert s'obscurcit, et le bleu des lagons qui s'etirent prend des reflets rougeoyants. Je me souviens alors que j'entre peu a peu dans la magie du sud..


Il y a des jours comme ca…

...ou on se dit que le sort s'acharne! Heureusement que la rencontre de Jaime m'a fait reequilibrer cette journee par le positif, ou je la classais parmi les journees les plus noires!

Pour commencer, je manque mon bus pour Puerto Montt. Personne ne m'avait signale que la soi-disant meilleure compagnie de bus du pays, Tur-Bus, dispose de son propre terminal, et ne dessert pas les memes terminaux que toutes les autres compagnies. Resultat des jeux, je reste sur le carreau dans le mauvais terminal, avec un ticket invalide que personne ne voudra me rembourser.

Je me rejouis de me lancer dans mon premier scandale en espagnol. Rien de tel qu'un bon scandale pour savoir si on se fait comprendre ou non dans une langue etrangere! Apparemment, je faillis au test d'entree, aucun des guichetiers ne semble comprendre mes vociferations. Mais heureusement, les chiliens sont friands de scandales, et toute la file d'attente se lance dans ma defense, venant s'agglutiner autour de moi et surrencherir d'arguments!

Un jeune couple et une petite vieille sont particulierement touches par mon histoire sordide, et se liguent contre la guichetiere pour lui faire me rembourser le billet. Elle ne cedera pas, mais mes nouveaux Zorros ne s'avouent pas vaincus, et m'enjoignent a continuer la bataille aupres de la direction. Non non, c'est perdu c'est perdu, et mon premier scandale m'a coute beaucoup de concentration, pas envie de me lancer dans le second.

Qu'a cela ne tienne, voila mes trois mousquetaires qui s'emparent de mon billet, et vont crier pour ma cause dans le bureau du directeur. C'etait bien essaye, mais peine perdue quand meme. "Le bus est parti, puisque je vous dis qu'il est parti, et il n'est possible d'effectuer un remboursement qu'AVANT le depart de bus. Claro, non?!". Bon, mes heros capitulent, et reviennent me rendre mon billet bien desoles, comme s'ils avaient faillis personnellement! Je les remercie avec effusion de leurs efforts, et ils m'ont rendu ma bonne humeur par leur gentillesse.

Puis je vais me rabattre sur une autre compagnie de bus pour acheter un nouveau billet, et finis par partir 2 heures plus tard. Le bus prend du retard a chaque arret, et nous n'atteignons la destination finale qu'a 23 heures. Je debarque donc de nuit a Puerto Montt, et pars directement en quete d'un oreiller pour me remettre des 8 heures de route. Mais pour la premiere fois de mon voyage, cela parait mission impossible. La plupart des auberges sont deja closes, celles qui ne le sont pas affichent complet, l'heure tourne et je commence serieusement a m'envisager clochardiser sous un pont! Perspective peu rejouissante lorsque l'on sait que Puerto Montt est la porte d'entree de la Patagonie, a 1000 km au sud de Santiago, et que la temperature s'est abaissee de 15 degres en cours de route.. Je suis encore en short, et je ne suis pas loin de sortir mon pijama en pleine rue pour me rechauffer et aller m'allonger devant le supermarche!

Il pleut pour completer le tableau, premiere fois aussi depuis des semaines. Je glisse et m'effondre dans le caniveau sous mes sacs a dos, le tableau est parfait, je suis une boueuse SDF, et j'ai encore moins de chance d'etre acceptee dans un hotel, barbouillee de terre jusqu'aux oreilles. Mais le desespoir ne m'a pas encore gagne, et je persevere encore a la recherche d'un lit. La chance me sourit enfin peu avant 1h, je rencontre un hotelier qui me demande ce que je cherche, un lit pardi, je n'en ai plus, oui je m'en doutais, personne n'en a plus de libre, ah mais si, j'ai un ami qui gere une grande auberge, il a peut- etre de la place.

Sur ce, il parle a un de ses employes, qu'il charge de m'accompagner a l'auberge en question. Nous traversons la moitie de la ville, arrivons enfin devant l'auberge, ou un visage antipathique m'annonce que tout est complet. Je me decompose a sa reponse, n'insiste meme pas en me resignant, "ca y est, c'est le pont au bout du couloir!". Mais mon desespoir l'apitoie apparemment. "Bon, je vais voir, il me reste bien une petite chambre".

Je le suis, et il m'installe dans la minuscule chambre en question, chambre de bonne au-dessus de la cuisine. Elle est parfaite, merveilleuse, magnifique, un palace, je la prends, oui oui, je la prends, elle depasse tous mes reves les plus fous! Je lui saute presque au cou, me reprends de justesse, puis m'ecroule sur le lit et m'endors du sommeil du juste!


Autour de Puerto Montt

Puerto Montt est l'une des villes du sud du Chili les plus importantes, et la derniere ville "continentale", avant de descendre sur l'Ile de Chiloe et les glaciers. Il n'y pourtant pas grand chose a faire dans la ville au dela des marches d'artisanat folklorique et des balades sur le front de mer. Mais la ville est pleine a craquer en cette periode estivale, comme j'ai pu m'en rendre compte a mon arrivee peu glorieuse. Elle s'emplit de touristes chiliens pour la plupart, mais aussi de toutes autres nationalites, tous de passage avant de partir pour les excursions alentours. On s'y arrete avant de decouvrir Chiloe ou avant de partir en croisiere vers Puerto natales.

Je choisis moi aussi de partir en croisiere pour Puerto Natales, touriste parmi les touristes. Meme si peu originale, la perspective de me retrouver 4 jours au milieu des pinguins, des fjords et des glaciers m'enchante. Mais cette fois ci, a la difference de mon train de vie princier en Asie, je choisis la formule "pouilleux", dans la cale et condamnee a la soupe populaire. La difference de prix entre Asie et Amerique latine est faramineuse, et la formule economique, a 20 dans une piece et accoles a la salle des moteurs, est la seule que mon porte-monnaie perce de rentiere en voie d'extinction est en etat d'accepter!

L'ennui est qu'il n'y a que deux bateaux par semaine, et qu'en attendant de partir pour les mers froides, je me trouve donc a Puerto Montt pour plusieurs jours. Qu'a cela ne tienne, j'en profite pour aller vister Chiloe, la fameuse ile berceau du folkore chilien. Isabelle y a fait une mission humanitaire de 6 mois, et m'a mis en garde contre le climat insupportablement pluvieux qui y regne, record de precipitations toutes categories. Mais je n'en vois rien, la chance m'accompagne, et le soleil brille a tout rompre pendant tout le temps de ma decouverte de l'Ile.

Une fois n'est pas coutume et a peu pres remise de mon traumatisme australien, je fais appel a un tour organise pour voir le maximum de l'ile en peu de temps. L'Ile fait 180 km de long et 50 de large, la traversee de long en large est difficilement imaginable sans louer une voiture, ce qui ne laisse que l'alternative du tour organise pour les voyageurs en solitaire.

Et cette fois ci, pour me reconcilier definitivement avec les tours guides, l'experience est exceptionnelle. Je fais la connaissance de nombreux chiliens tres communicatifs, et surtout, de notre guide, Patrizio, qui me prendra sous son aile pour me faire comprendre la culture du pays et m'expliquer les "chilenismes" de langage qu'aucun etranger ne peut reellement comprendre sans vivre longuement dans le pays. Il me demande en contrepartie de m'occuper des deux autres gringos du groupe, deux allemands, qui ne parlent pas un mot d'espagnol. Je me transforme en traductrice d'un jour, petit exploit en soit lorsque l'on sait l'effort surhumain que je dois fournir pour comprendre les subtilites de Patrizio!

Je suis aussi traductrice-attenuatrice, ou traductrice-psychologue, lorsqu'il s'agit de rassurer les deux allemands sur la capacite du mini-bus a continuer sa route avec un pneu en moins! Eh oui, cela ne m'etait pas encore arrive en Asie, mais il fallait bien que je le vive un jour : l'explosion d'un pneu en pleine descente! Les allemands hurlent, passent au vert fluo, et s'appretent a partir en courant lorsque Patrizio me demande de leur traduire qu'on va continuer comme ca, puisqu'il y a un deuxieme pneu, et que seul le pneu exterieur a creve. Je m'execute, en enjolivant encore un peu plus le tableau pour leur eviter le coma nerveux!

Cela se corse lorsqu'il me faudra traduire que nous rentrerons avec 3 heures de retard sur l'horaire prevu. Je m'attends au cataclysme, et en effet, ils manquent tourner de l'oeil lorsque je leur annonce. Je ne sais plus comment contourner la traduction pour leur dire que nous allons visiter un village de plus que prevu, et manger des fruits de mer a la fete folkorique. Ils vociferent et se lamententent sur la desorganisation et le manque de professionnalisme des latinos, ce que je traduis la encore avec quelques libertes pour epargner Patrizio!

Le retard m'enchante au contraire, cela nous permet de voir Ancud et sa forteresse, Castro et son eglise violet-orange, ses maisons sur pilotis de toutes les couleurs, la fiesta constumbrica, Dalcahue, les fronts de mer, les plages, les marches folkloriques. Je fais connaissance avec un pretre belge francophone servant depuis 34 ans la paroisse de Chacao, a l'entree de l'ile. Le plus amusant est que notre guide a ete son apprenti cure il y a 20 ans, et a passe 4 ans de sa vie a Chiloe pour entrer dans les ordres lui aussi. Mais l'amour lui a montre la voie opposee, ou plutot, sa petite amie enceinte l'a force a se marier!

A ce propos, petite parenthese sur les relations amoureuses au Chili. Ici, il y a des termes bien differents pour qualifier les differentes etapes de la relation amoureuse. Il y a un terme pour "voir" quelqu'un, sortir avec, etre avec, etre avec plus serieusement, officiellement, puis marie. Beaucoup de relations menent malheureusement au mariage premature, a 16 ans souvent, parce qu'ils n'utilisent aucun moyen de contraception, et les filles se retrouvent enceintes systematiquement. La plupart des meres que je croise avec des bebe ont moins de 20 ans. Et parmi les amis d'Isabelle rencontres a Conception, les gens de notre age ont souvent des enfants de 7-8 ans.
C'etait sans doute aussi le cas en Asie, mais cela me frappe plus encore ici parce que les gens me paraissent plus proches de nous, dans la civilisation et le developpement.

Mais j'en reviens a Patrizio, pere a 20 ans lui aussi. Il a quitte la paroisse, s'est marie, puis s'est separe de sa femme 3 ans plus tard. Le divorce n'existe pas au Chili. Il y regne encore la politique de l'autruche, ou seule une "annulation" de mariage est possible.

Mais de sa premiere vocation d'homme de religion lui reste une generosite et un devouement a toute epreuve, le coeur sur la main et un amour des gens qu'il emmene a la decouverte du Chili. Il est guide et conducteur de bus, sillonne le pays de long en large, sur demande de groupes ou d'agence de voyage.

Apres ma decouverte de Chiloe, je lui dis avoir envie de l'accompagner dans son prochain tour, a la decouverte du site de Petrohue et du volcan d'Osorno, le lendemain matin. "Bien sur, et tu es mon invite", m'annonce-t-il jovialement. Mais le lendemain, a ma grande stupeur, l'agence de voyage m'annonce que ce n'est pas Patrizio qui se chargera de la visite guidee, mais un autre guide, illustre inconnu. Je refuse de partir avec le barbu, et attend Patrizio, qui finit en effet par arriver, et apprend lui aussi avec etonnement qu'il a ete remplace en deniere minute sans crier gare.

Les methodes des agents touristiques chiliens sont franchement cavalieres, les annulations de derniere minute ne sont pas rares, me dit-il, et la raison du jour est qu'il a ete affecte a la conduite d'un bus a destination de Santiago, pour prendre en charge un groupe d'anglais. Je suis decue de ne pas continuer le voyage avec un aussi bon guide, mais il me rappelle qu'il ne part qu'en soiree, et qu'en attendant, nous irons a Petrohue coute que coute!

Il se lance dans la publicite de son propre tour dans le terminal de bus : "qui veut partir a la decouverte de Petrohue? Depart imminent!". Il arrive ainsi a convaincre 7 personnes, qui nous financeront le deplacement! En route pour Petrohue, donc, et il me presente comme la co-guide, chargee de traduire ses explications aux couple d'americains tout droits debarques de leur Oregon natal!

L'americaine lui demande de mettre de la cumbia, la musique culte de la jeunesse chilienne. Et les deux se lancent dans une demonstration de danse dans le mini bus, vive le naturel, heureusement que je rattrape le volant pour maintenir la trajectoire, et heureusement surtout que nos deux allemands de la veille ne sont pas de la partie aujourd'hui, j'aurais eu du mal a traduire ce delire collectif!

Le paysage est fantastique, la moitie du trajet se passe dans le parc naturel de Vincente Perez Rosales, entre les pins et les eucalyptus, en bord de lac, avec les 3 volcans a l'horizons : Cabulco, Osorno, et Puntiagudo. Ce sont les memes volcans que ceux apercus entre osorno et Puerto Montt, mais tout pres de nous cette fois. A Petrohue, des cascades a couper le souffle, le lac Todos los santos, et le sommet du volcan Osorno en ligne de mire!


Depart pour Puerto Natales sur le Magellanes

Le lendemain de cette fabuleuse excursion a Petrohue est le jour du grand depart en bateau pour les fjords et les glaciers. Je me rejouis pour rencontrer sur le paquebot tout le Chili en vacances, et reve de faire autant de rencontres que sur le ferry entre Puerto Montt et Chiloe. Sur celui-ci, 20 minutes de traversee m'avaient permis de rencontrer plusieurs familles de Chiliens en visite sur l'ile, et de recevoir avec surprise leurs invitations spontanees a partager leurs auberges et excursions. Je n'y restais malheureusement pas assez longtemps pour accepter, mais esperais bien refaire de telles rencontres sur le Magellanes, bateau reliant Puerto Montt a Puerto Natales.

Mais ma deception est vive, je suis cernee de touristes europeens, et en particulier des francais de tous cotes. La patagonie parle plus aux francais qu'aux autres nationalites apparemment, cela doit faire partie de notre imaginaire collectif. Des sequelles causes par 10 ans de Nicolas Hulot et de shampoings au lait de coco, sans doute!

Mais une fois passee la minute de regret de ne pas replonger dans la decouverte de l'ame chilienne, je fais connaissance plus longuement avec mes deux voisins de couchette, Catherine et Jerome, et me rejouirai toute la traversee de les avoir rencontres. J'en arrive meme a me louer d'etre baignee a nouveau dans notre belle culture francaise, meme langue, memes references, plus aucun effort d'adaptation. C'est le repos du guerrier, et je me laisserai vivre -en francais cette fois et dans le texte- tout le temps de la croisiere.

Retour de la "french connection", comme nous appelle Deanne, l'australienne avec laquelle j'ai egalement sympathise des le premier jour. Et puis, comme les francais appellent les francais, chaque rencontre sur le pont ou a table nous rapproche de nos autres compatriotes, jusqu'a ne se trouver finalement qu'avec toute la frenchitude de Patagonie.

Les jours passent lentement, le paysage est certes fabuleux, mais je m'ennuie au bout de deux jours, a voir defiler le paysage sans possibilite de gagner le bord pour en profiter a sa juste valeur. Catherine a une remarque tres juste, rapprochant cette succession d'images d'Epinal vues du pont : c'est comme dans ces vieux films, ou les acteurs sont statiques et des decors de carton et papier mache glissent en arriere plan tres lentement. Exactement ca, tout est tres beau, mais je m'ennuie.

Il n'y a qu'une nuit de mer agitee, ou je me reveillerai a 3h du matin avec une curieuse impression de tete a l'envers. Mais des le lendemain, mon estomac sera remis en place, et nous aurons finalement traverse sans mal le Golfe des Pena, partie de traversee reputee comme houleuse sur le bras de Pacifique que nous parcourons. Nous n'en aurons
quasiment rien senti, ou peut etre est ce grace aux cachets de Catherine, medecin hors paire pourvoyant a tous nos petis bobos et armee de toute la panoplie de pilules anti-mal de mer.

Tout est calme, trop calme! Il y a bien quelques dauphins qui surgissent au loin, un iceberg en plein milieu du trajet sur lequel nous passons peu rassures, une pause d'une heure pour aller decouvrir la cote de Cohaique et se degourdir les jambes. Des jeux du genre la croisiere s'amuse, bingo et chaise musicale, et puis la cumbia du samedi soir.. mais rien n'y fait, je m'ennuie ferme, et serai heureuse d'atteindre Puerto Natales au petit matin du quatrieme jour.

L'experience etait interessante et bonne a prendre cependant, je saurai desormais que les croisieres, meme quand elles s'amusent follement a jouer au bingo, ne sont pas faites pour moi.
Peut etre l'aurais je vecu differemment sur la traversee suivante : nous apprendrons une semaine plus tard que le Magellanes s'est echoue sur un rocher lors de la traversee effectuee au lendemain de notre depart.. Il est actuellement immobilise a quai pour reparations!


Puerto Natales


Nous atteignons enfin Puerto Natales, apres ces quelques jours en dehors du temps. Vue du bateau, la ville est surprenamment petite et a l'ecart du reste du monde. Tres plate, aucun immeuble a plusieurs etages, ce qui se comprend rapidement des que l'on pose pied a terre et nous faisons balayer par le vent glace qui souffle sans discontinuer.
Philippe Chaize, grand voyageur devant l'eternel, me parlait de son impression de bout du monde ressentie a Punta Arena. Dans mon cas, ce sera ici. Nouvelle preuve qu'il n'y a decidemment de bout du monde que la ou on a envie de le positionner!

Qu'est ce qui fait un bout du monde, au fond? La platitude de tous cotes, une maigre vegetation seche et eparse, la vue sur une etendue d'eau au meme niveau que la terre et la ciel, un vent a decorner un boeuf, et la mer couleur ciel sans plus de difference entre les elements...C'est certainement quelque chose comme toutes ces ces impressions reunies qui nous place dans notre bout du monde, ou du moins ce qu'on a envie d'appeler comme tel.

Des la sortie du bateau, des dizaines de representants d'auberge nous inondent de prospectus publicitaires pour faire le meilleur choix. Beaucoup ont l'air allechantes, nous ne nous pressons pas, Deanne veut faire ses adieux a toutes les rencontres faites lors de la traversee. Lorsque tous sont parti et que nous sommes bien sures d'avoir laisse partir tout le monde avant nous, les auberges sont pleines! Jerome et Catherine n'ont pas ce probleme, ils partent directement au Torres del Paine, le grand parc naturel qui est la veritable attraction des alentours de Puerto Natales.

Mais eux sont equipes comme les vrais randonneurs, Jerome n'est pas grenoblois pour rien, et ne se deplace pas sans sa tente et son rechaud!
Il n'en est pas de meme pour Deanne et moi, qui serons obligees de marquer une pause a Puerto Natales pour nous equiper integralement, et pouvoir partir parees a l'assaut du Torres.

Bref, nous voila sans auberge, et nous tournons un bon moment avant de trouver "l'aubege des retardataires", ou auberge de la derniere chance, ou se retrouvent tous les feneants du bateau et tous les touristes "longue duree", qui ont perdu depuis belle lurette l'habitude de se presser! C'est assez drole, il y a en Patagonie non seulement une concentration inhabituelle de francais, mais aussi de voyageurs au long cours qui partent decouvrir l'ensemble des parcs naturels de la Patagonie, sans aucun imperatif de temps. Ni d'argent d'ailleurs, puisque l'ensemble des parcs se decouvre tente sur le dos, et ne necessite aucun budget "hebergement", si ce n'est le droit d'entree dans le parc.

Nous passons donc une journee a Puerto natales pour nous composer la panoplie du parfait hiker, tente, gamelle, rechaud, gants, echarpe, bonnet, chaussettes, et le tout en poils d'alpaga, s'il vous plait! Ah, et puis j'oubliais les provisions de "lose-bouffe", comme dirait Jerome : pates deshydratees, lait en poudre, flocons d'avoine et barres de cereales!

Ca y est, nous sommes pretes, depart le lendemain matin aux aurores. Mais l'avant depart est deja une epreuve a lui seul : les feneants du bateau sont aussi les pires fetards, comme souvent, et il n'est pas question de marquer une pause entre la soiree et le lever avec les poules. Toute la nuit sera arrosee de "Gato Negro", le must du vin chilien : 2 pesos par packs.. en cartons! C'est le grand luxe, et le nectar coule a flots jusqu'a l'heure de depart!


En route pour Peking, 2008


Arrives au Parc du Torres, 2 options s'offrent a nous : choisir de faire le circuit complet, qui durera entre 7 et 10 jours, ou nous cantonner a la formule 5 jours, qui consiste a effectuer une course en forme de W, avec chaque bras du W comme attraction majeure et objectif d'une rando journaliere.
L'ensemble de nos acolytes alcooliques s'engage a faire le circuit "7 jours" , a ma grande surprise. Je ne sais toujours pas s'ils en sont revenus, d'ailleurs!

Quant a moi, je persuade Deanne et David de preferer la formule courte, qui devrait tout juste atteindre l'esperance de vie de mes ampoules. Depuis le temps, je connais les forces et faiblesses de ma paire de chaussures haute definition. Mes pieds devraient survivre 5 jours, mais se decomposeront le septieme!

Ce que je ne savais pas en revanche, en mettant au point ce plan quasi parfait, c'est que la dite Deanne allait me coacher pour les olympiades. Je la savais physiotherapeute en Ecosse, je la savais svelte et gigantissime (1m 90 environ!) mais j'ignorais son passe de championne nationale d'Australie au sein d'une equipe de netball (variante anglo-saxonne du basket) et son activite annexe de physio des rugbeux et footeux aux jeux olympiques de Sydney. J'aurais peut etre reflechi a deux fois avant de m'engager dans ce terrain glissant si j'avais eu toutes les cartes en mains!

Le premier jour, donc, et malgre une nuit blanche et arrosee de Gato Negro, je la vois partir ventre a terre sur la premiere montagne abrupte, comme un chien fou auquel on aurait ouvert soudainement les portes du chenil. Elle me dit ne plus pouvoir se contenir, apres 4 jours d'immobilisme sur le bateau et un regime de feculents, elle s'excuse, mais fonce de plus belle, laissant le pauvre David sur le carreau a 2 kilometres derrieres, et moi a 1,5! Je ricane sous cape, me disant "tu ne tiendras pas longtemps a ce rythme la, ma grande", persuadee de tenir le rythme parfait et regulier, la respiration entrainee et les mollets decuples par les footings sur le San Christobal.

Mais passent les kilometres, passent les heures, et elle ne faiblit pas, accelere au contraire, l'ecart se creuse, je sue le Gato Negro par tous les pores, et me lamente sur ma petite condition. Dans son excitation a sillonner montagnes et vallees, elle nous perd d'ailleurs, je suis trop occupee a pester contre mes mollets qui faiblissent pour m'interesser a l'itineraire en prime, j'essaie simplement de ne pas perdre de vue sa polaire rouge qui ne devient plus qu'un point sur l'horizon!

Elle revient donc sur ses pas desolee, et nous apprend que nous avons fait fausse route. On a plus qu'a revenir sur nos pas et tout recommencer! Comme si les 8 heures prevues initialement n'etaient pas suffisante, me dis-je en ralant dans ma barbe. Mais ce que j'avais oublie, c'est qu'a ce rythme de fous furieux, aucun des panneaux indicateurs de temps n'est exact, et que nous avalons les distances deux fois plus vite que les previsions du Club Andin!

En bout de course, nous arriverons donc finalement quelques heures plus tard devant les dents du Torres. Comme toujours, la magnificence de la vue efface tous mes bougonnements et petites douleurs de mollets, et je finis meme par remercier Deanne de peaufiner ma condition d'athlete qui s'ignore!

Puis nous redecendons, regagnons le campement ou la pluie nous attendait mesquinement pour nous tremper de la tete au pied au moment du depliage des tentes. Delicate attention! Mais la pluie, le froid et le vent n'y feront rien, nous celebrerons le couvre feu a 21 heures, et dormirons sans discontinuer jusqu'au petit matin.

Un scoop


Le deuxieme jour commence en pluie et en tornades de vent, mais il en faudrait plus que ca pour decourager ma nouvelle coach. Elle nous met au pas, David a l'air de souffrir plus que moi encore, cela me rassure un peu sur mon etat pitoyable, je me ressaisis petit a petit. Apres la surprise du premier jour, je vois renaitre mes vieux reflexes d'egerie du Club Vosgien, n'oublions pas que je suis tombee dans la marmite de la rando alsacienne des mon plus jeune age, ce ne sont pas des petits glaciers de rien du tout qui devraient m'effrayer, au fond!

L'apres midi voit d'ailleurs rejaillir le soleil, ce qui illumine enfin la journee d'un eclat nouveau, et les paysages compensent une fois encore toutes nos souffrances. Nous longeons une bonne partie de la journee le Lago Nordenskjoeld, qui me fait vraiment penser aux lochs des midlands ecossais. Deanne aussi voit la ressemblance, elle dont tous les weekends se passent au nord de Glasgow en rallyes randonnees depuis qu'elle a quitte l'Australie pour l'Ecosse.

De maniere plus triviale, je me demande si ce n'est pas ici qu'ont ete tournees les scenes de montagnes du "Lord of the Ring". Il semblerait que non, ces scenes champetres ont ete volees a la Nouvelle Zelande, m'apprend ma grande australienne. Mais mon intuition n'etait pas si mauvaise, lorsque l'on se souvient que dans le super-continent Gondwana, l'archipel de la Nouvelle-Zelande s'encastrait dans l'arrete patagonienne du sud du Chili. C'est a s'y meprendre.

Le soir, nous campons a cote du refuge Los Cuernos, ou nous sympathisons avec le chef cuisto qui nous gave de baigners et de donuts, pour nous remettre de nos emotions! Il est important d'avoir le bras long, et je veille toujours a me faire les relations essentielles pour pourvoir a ma survie en milieu hostile! Je rencontre ensuite un groupe de "porteurs de sacs", musclors de la montagne qui portent 3 sacs a dos en meme temps, tentes et nourriture compris, pour le compte d'americains obeses qui se targuent d'etre sportifs. Les charmants porteurs, Robins des bois du Torres, partagent leurs provisions avec nous pauvres pouilleux, et sont ravis de jouer un bon tour a leurs americains gloutons!

En fait, pour etre tout a fait honnete, il n'y a de loin pas que d'affreux Yankees. Les europeens riches et flemmards forment aussi un bon groupe cible et une bonne mine d'or pour ces porteurs d'une semaine. Et devinez quelle est notre icone sportive nationale, derniere en date a s'etre fait porter son sac a dos par Pedro? Je vous le donne en mille : Nicolas Hulot! Et apres, nous y croyions, pauvres spectateurs trahis, au mythe de l'aventurier sans peur et sans reproche, qui halete dans sa section "sports-passions"!

Aventuriers, aventurieres.. Sportifs, sportives.. On nous ment, on nous spolie!! Notre Nicolas n'est qu'une femmelette, et il ne porte meme pas son sac! Quelle honte, quel nouveau revers pour l'honneur du sport francais!


Vallee frances, tornades et sushis


Le troisieme jour est une troisieme epreuve, apres une seconde nuit sous la tempete ou nous fermons a peine l'oeil cette fois. Nous nous attaquons au Glacier Frances, qui offre une vie magnifique et imprenable sur une vallee decoupee de lacs et lagunes, emplis de toutes les variantes de bleu et verts de la planete. Mais la pause contemplation est impossible, nous nous accrochons aux arbres pour ne pas decoller.

Je revets le pancho impermable du petit troll des forets qui me faisait tellement ricaner sur le dos de maman. Aujourd'hui, j'avoue que je ne ris plus, il parait que cela s'appelle l'age de raison, toute horreur est bonne a prendre si tant est qu'elle me protege un peu des tornades diluviennes! Deanne reussit a degainer son appareil photo pour ce moment inoubliable, la perspective d'immortaliser le ridicule donne toujours des ailes a mes compagnons de route.. Comment se fait il que les seules images qui resteront de ce long voyage seront des affiches de cirque ou des reconstitutions de la vie de Cromagnon?

En redescendant, nous nous precipitons dans une cabane en bois pour faire chauffer la bonne soupe lose-bouffe. Une japonaise nous y a precede, elle se concocte des sushis en pleine foret! Sacrees japonaises, meme sur la lune et vetues de combinaisons de cosmonautes, elles arriveront a deballer leur tuperware de riz, sauce au soja et feuilles d'algues sechees!


Forfait


Le clou du spectacle dans le circuit W est, selon les dires generalises, le glacier Grey. Mais on ne peut pas gagner a tous les coups, et il n'y aura pas de glacier Grey pour nous. Apres 4 jours de temps execrable, a peine relaye par quelques eclaircies strategiques pour nous permettre de continuer et nous frayer un passage parmi les grelons, la derniere nuit devait en theorie se passer au pied de la montagne, dans le canal venteux qui descend depuis le sommet du glacier.

Mais aussi olympique soit-elle, Deanne capitule, elle n'en plus de ne pas fermer l'oeil sous notre tente de papier. Elle a beau etre une championne, elle est avant tout championne d'Australie, des plages et des 30 degres. Les -5 degres des nuits precedentes ont reussi a l'user peu a peu, et elle plante le drapeau blanc : "Je n'en peux plus, je redecend sur Puerto Natales", nous dit-elle plus decidee que jamais, a constater notre difficulte a planter la tente sous la tempete.

Je suis ravie de cette decision soudaine, la flemme l'emporte chez moi aussi. Mais quelle n'est pas notre surprise d'entendre David nous dire : "Non. Moi, je continue!". Stupeur generale! Qui veut aller loin menage sa monture, et le petit David que l'on n'entendait pas et ne voyait pas avait plus d'un tour dans son sac! Il part donc sans nous a la conquete du glacier Grey, et nous redescendons sur Puerto Natales apres une derniere traversee du lac Pehoe en catamaran.

Je sens Deanne contrite, son esprit de competition est touche a vif, mais dit c'est dit, et elle ne revient pas sur sa parole premiere en depit de son envie de sauver la face. Elle me repetera souvent les jours suivants, pour se persuader avant tout d'avoir fait le bon choix : "ce qui est bien, a notre age, c'est qu'on est capable d'ecouter ses envies avant tout, sans avoir forcement envie d'aller toujours au bout"! Encore un doux mythe sur l'age de raison...


Punta Arenas, petit historique


Nous repartons des le lendemain matin, pour Punta Arenas puis la Terre de Feu.
Entre Puerto Natales et Punta Arenas, le paysage est de plus en plus plat, de plus en plus desertique. Les dernieres chaines de montagnes sont usees, les sommets degarnis sont ronges par le vent et le froid, et les petites cabanes en bois multicolores sont separees de dizaines de kilometres les unes des autres.

A Punta Arenas, une chilienne nous attend a l'arret de bus pour nous proposer de nous heberger chez elle. Ele m'accoste en allemand, c'est affreux, meme avec le bronzage et sans mes lunettes, on continue a me prendre pour une enfant de Prusse! Piquee a vif, je replique en espagnol, ca ne se passera pas comme ca, non mais!

Notre nouvelle hote a passe toute son enfance a Zurich, et parle un Schwitzer Dutch qui n'a rien perdu de sa saveur. Il vaut donc mieux preferer l'espagnol, legerement plus melodieux! Elle nous previent que ca maison n'a pas la tete de sa voiture, pour nous convaincre de la suivre sans trembler. Son bolide est un modele de Fiat dont je ne me souviens pas avoir vu l'equivalent de mon vivant, meme les bidibules polonaises semblaient plus modernes, mais nous la suivons sans fremir, et Deanne parvient a mettre ses 1m90 en boite pour les quelques kilometres a parcourir.

Le palace ou nous arrivons n'a effectivement aucun lien de parente de pres ou de loin avec le bidibule, et nous voila installees dans une chambre splendissime avec un petit dejeuner gargantuesque a la cle. Un bon residu des traditions suisso-germaniques, il y a des valeurs qui ne se perdent pas!
Au petit dejeuner, nous rencontrons Julio, autre touriste de passage, mais touriste quasi local, de la Patagonie argentine, voyageant pour recolter des informations historiques sur la region et illustrer sa these.

Deanne n'a aucune envie de s'enfermer dans un musee, ne comptent pour elle que les etapes sport-nature. Mais de mon cote, je suis ravie de changer un peu de registre, et accompagne Julio dans ses visites des musees de Punta Arenas. Il s'offre en guide, et me permet de comprendre un peu mieux l'histoire des indigenes de Patagonie, une extinction comparable a celle des indiens d'Amerique du Nord. Il ne reste qu'un groupe indigene d'importance, les Mapuche, seuls a s'etre battus pour leurs droits et leur terre. Tous les autres groupes ont disparu. Il reste bien quelques representants des autres groupes originels, comme les Alacalufe, Tehuelches ou Ona, mais ils sont en tres petit nombre et ne se battent pas pour leur revendication.

La percee des espagnols apres Magellan, en 1520, fut cependant tres lente. La Patagonie est un territoire hostile, et on ne pas voit de prime pourquoi s'infliger ce vent et ce froid incessant de son plein gre!
Comme en Australie, les premiers migrants sur cette terre ingrate et a Punta Arenas en particulier (comme a Ushuaia), furent des prisonniers europeens, installes de force dans leur prison glacee. A la reflexion, mieux valait etre galerien du cote de l'australie qu'en Patagonie!

Mais c'est la ruee vers l'or americaine qui a justifie le developpement de Punta Arena, avec la necessite d'emprunter le Canal de Magellan, reliant l'Europe a la Californie. Cette voie etait la seule voie navigable jusqu'a la percee du Canal de Panama. Ce n'est qu'a ce moment la que Punta Arenas a perdu sa position strategique, et que le traffic autour du Cap Horn a perdu en ampleur et en intensite. Par la suite, le transit de l'or a ete relaye par le transport de laine et de coton, lorsque les moutons furent importes en Patagonie pour developper l'elevage, a la fin du 19eme siecle.

C'est a ce moment la que l'extinction des aborigenes a commence, avec l'apparition des pires criminels : les missionnaires de l'ordre salesien, armes du proselytisme le plus feroce. Et pourtant, malgre l'evidence, le musee conserve une vue tres pro-catholique, avec des prospectus d'hymne a Jean-Paul II, celebrant sa venue en Patagonie et ses voyages au Chili. L'evidence ne paie pas lorsqu'elle se mesure a la foi!


Dans la vie comme dans la mort


Au bout de la rue de notre maison d'adoption se trouve le cimetierre de Punta Arenas, autre site historique selon les dires de notre hote, qui nous encourage vivement a aller le visiter, puisque nous sommes dans notre phase historique. Elle nous explique que c'est un cimetierre magnifique, et que la visite vaut vraiment le detour. Je m'imagine trouver un amenagement de tombes comparable a celui que j'avais pu voir en Guadeloupe il y a des annees, un cimetierre bariole et compose de veritables petits palaces pour chaque mort ex-milliardaire.

Mais je m'arrete tout net devant ce cimetierre new wave, et pars dans une longue crise de fou-rire, mea culpa messieurs-dames les morts, mais votre derniere demeure est la plus surprenante qui soit! Imaginez des HLM pour morts, des bunkers a plusieurs etages, avec un numero d'adresse devant chaque fenetre, ou sont installes des bouquets de fleurs en vitrine.. Du jamais vu, et je n'en reviens toujours pas, je marche dans les allees de bunkers, qui me rappellent vaguement une cite U fleurie, Deanne me regarde l'air reprobateur a voir mes larmes de rire, je me calme et reprends l'air digne.

Enfin, au detour d'une allee apparaissent les tombes des riches, voila les tombes magnifiques dont nous parlait Christina, voila l'affreuse injustice qui se propage au dela de la vie. Les exploiteurs de main d'oeuvre immigree et bon marche, les descendants de Menendez et Braun, les deux familles de success-story patagonienne, exhibent leur marbre et leur dorures dans leurs villas secondaires sur la cote des Mort. Le contraste est saisissant..


La bamboula des pingouins


Depuis ma decouverte de l'unvivers fantastique des sea-lions, je revais de decouvrir celui des pingouins, autre societe animale meconnue dans notre classique pays de chiens et de chats. J'assomme donc Deanne et Julio avec mes histoires de pingouins jusqu'a ce qu'ils se decident a m'accompagner sur l'ile Magdalena, royaume des pingouins, a 2 heures de bateau de Puntas Arenas.

Deanne est tres excitee a l'idee de traverser le Canal de Magellan, premiere traversee de ce lieu mythique. Mais passee la premiere emotion, elle s'endort sur la banquette du ferry et n'ouvrira plus les yeux jusqu'a l'abordage. Julio et moi faisons de meme, a croire que le canal de Magellan est une etendue d'eau comme les autres!

Pourtant, il y a bien un haut parleur qui nous debite la vie des pingouins et leurs us et coutumes, cela pourrait etre interessant si nous gardions les yeux ouverts, ou du moins l'oreille dressee a defaut. Mais le froid et le vent usent, nous dormons deux fois plus en terre Magallanes, et nous sentons pourtant toujours aussi epuises. Je ne recueille donc que quelques bribes de la vie des pingouins, et apprends entre autre la terrible nouvelle : les pingouins, comme nos bonnes vieilles cigognes, migrent, et il n'y a qu'en janvier et fevrier qu'ils s'agglutinent tous sur cette ile. Nous sommes debut mars, il en reste donc encore, mais l'ile se depeuple peu a peu. Bon, le ferry arrive, on va pouvoir compter les retardataires.

Pour ma part, je suis comblee, il reste assez de pingouins pour m'enchanter, et je peux les observer a loisir, sur la banquise, dans leur terrier ou sur les sommets de l'ile, se balader nonchalamment ou courir tous en choeur aux sirenes du navire. Grande decouverte de citadine inculte : les pingouins ont des plumes! Je les imaginais avec des fourures de bibifoque, avec des duvets tout doux de peluche, mais ils ont de petites plumes blanches et noires, on en apprend tous les jours! Autre surprise, ce ne sont pas des poules : ils ne volent pas au dessus de nos tetes comme je le croyais, naturaliste que je suis! Bon, je sais, j'ai l'air debile, la, avec mes idees preconcues, mais ce n'est pas si evident vue de France, de se representer un pingouin!

Au retour, nous avons une longue conversation sur le pourquoi du comment du pingouin. Julio prend des notes sur tout ce qu'il voit et entend, meme si ce n'est pas historique, et nos reactions face aux pingouins le passionnent. Il mene une sorte d'enquete micro-trottoire aupres des touristes du bateau pour collecter les divergences d'opinions et de perceptions, et je lui sers d'interprete aupres des anglophones.

Deanne, qui represente la vision australienne, parait la plus critique. Bien sur, elle a aussi des pingouins chez elle, ce n'est pas du jeu! Selon elle, il y en a bien plus sur Philipp Island qu'ici, bref, elle est decue, et se plaint que les pinguins sont stupides de toute facon, sales, ne se parlent pas entre eux. En plus, ils n'ont toujours pas compris qu'il n'y aucun interet a faire leur terrier sous le chemin qu'empruntent les touristes! C'est vrai, quoi, les pingouins, faudrait faire un peu de place aux touristes, hein?!

L'anglais du navire les trouve tranquilles, une vie de reve, une petite promenade sur la banquise, un petit poisson et une sieste, et le tour est joue! Quant a l'allemand, c'est le plus philosophe : "Et si c'etaient nous les stupides, et si nous venions les deranger, et si nous venions les dissequer avec nos yeux d'humains, et ne comprenions rien de toute facon?"

Julio conclue en disant que c'est sans doute ca, ils nous font la comedie des pinguins debouts qui ne se parlent pas et ne se regardent pas, mais le tapis de plumes sur le sol devrait nous mettre la puce a l'oreille : c'est la bamboula des que les touristes s'eloignent, streap-tease des pingouins et orgie generale!


Depart pour Tierra del Fuego


Tierra del Fuego.. Le panneau laisse reveur, nous voila donc sur cette terre mythique du bout du monde, que nous sillonnons d'ouest en est, du nord au sud, entre Punta Arenas et Ushuaia. Peu de touristes rencontres en terre Magallanes n'avaient l'intention de descendre jusqu'a l'extremite sud, qui n'offre selon eux aucun interet autre que symbolique. Deanne elle meme n'avait pas compte avec cette destination, mais c'etait une evidence pour moi, je ne remonterai pas avant d'etre descendue le plus bas possible, et puis j'ai promis d'envoyer une carte d'Ushuaia a meme, c'est le genre de choses qui motivent!

Deanne finit par decider de me suivre, Julio est de la partie lui aussi, et nous partons donc tous trois pour 12 heures de voyage entre Punta Arenas et Ushuaia. Petite frayeur pour Julio, qui se trouve sans autorisation de sortie du territoire, retour a la maison d'hotes ou il finit par mettre la main dessus. Detail vital, parce que meme si tout le voyage se fait en Terre du Feu, une partie est chilienne, une autre argentine, et le passage de frontiere n'est pas a negliger, surtout pour un argentin. La situation argentine ne s'est pas amelioree, les argentins quittent massivement le pays, et les pays voisins comme les Americains redoublent de vigilence et de mesures protectionniste pour empecher la deferlante argentine.

Lorsque nous arrivons a la frontiere, je peux lire le nouveau cours du peso argentin : 2,3 pesos pour un dollar. Il y a un mois, c'etait 1,3, il y a deux mois 1 contre 1. La devaluation de facto est massive, et ce qui consistuait auparavant le pays le plus cher d'Amerique latine pour un voyageur est actuellement bien meilleur marche que le Chili. Vu de ce cote, c'est une bonne nouvelle. Vue de celui de Julio, c'est une tragedie. Lui fait partie de cette grande classe-moyenne qui a subi les frais des mesures Duhalde, et se retrouve avec un compte en banque sans presque aucune valeur.

Le paysage ne change pas d'un cote a l'autre de la frontiere de San Sebastian : les memes etendues desolees, froides et venteuses, les memes plaines desertiques, peu de betail, je ne vois pas tous ces troupeaux de moutons senses faire la fortune de la region. De moins en moins de maisons, a se demander si on arrivera quelque part un jour.

A 15 heures, nous atteignons enfin ce qui ressemble a une ville : Rio Grande, qui n'a de grand que le nom, ou nous sommes heureux de ne faire que passer.. enfin nous le croyions du moins. Il y a un changement de bus, et le second qui nous menera a Ushuaia ne part qu'a 19 heures. 4 heures encore jusqu'a Ushuaia, nous n'arriverons qu'a 23 heures, et cela me rappelle etrangement un scenario catastrophe connu, la reedition de Puerto Montt. Je plaide donc pour une recherche d'oreiller a Rio Grande, et un depart a la premiere heure le lendemain matin pour Ushuaia. Cela n'enchante personne de rester a Rio Grande, mais la voix de la prudence l'emporte.

Nous trouvons donc un petit dortoire tenu par les seuls excentriques de la ville, il y a heureusement des originaux partout, meme dans les no-man's-land les plus recules, puis partons a la decouverte de la ville.. terminee en 10 minutes montre en main! Nous finissons par echouer piteusement dans un bar PMU, et nous terminons la journee en pilliers de comptoir avec la faune locale. A l'exterieur, une tempete de grelons fait rage, ce qui justifie un tant soit peu cette decheance d'un soir!

 

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