La Situation delicate en Argentine ...



Imaginez...

Des gens qui dorment devant les banques pour changer en dollars leur
quelques pesos restants ..
Des queues de 200 metres devant les bureaux de change,
Des grand-meres devant un guichet automatique pour la premiere fois de leur
vie, reduites a utiliser une carte de credit pour avoir une chance de
retirer du liquide sans passer par ces files de 500 personnes, grand meres
qui ne savent ni composer un code, ni appuyer sur la touche "confirmer". Si
vous vous trouvez derriere la grand mere, passez votre chemin et tentez plus
loin!
La moitie des distributeurs automatiques vides, pris d'assaut par ces
milliers de nouveaux possesseurs de cartes de credit,

Imaginez...

le prix du beurre, du pain, de la lessive, du dentifrice, de l'huile
vegetale, du savon, augmenter de 160% en 1 mois,
la moitie des jeunes passes sous le seuil de pauvrete,
des galeries marchandes dont un magasin sur deux a ferme au courant du mois
dernier, suite a l'augmentation de 50% du loyer,
D'autres magasins pleins a craquer, en vitrine des costards Hugo Boss, des
tailleurs Chanel, sans aller si loin, des baskets Nike ou Reebok..
Inaccessibles desormais, produits d'importations en dollars qui ne sont plus
a la portee de qui gagne sa vie en pesos.

Imaginez...

Des vacanciers rappeles par leur banquier.. qui leur annonce que leur banque
vient de faire faillite,
Les 5 premieres pages de tous les journaux depuis debut janvier exposant
l'attente d'un mouvement du FMI, le pere noel, la solution ultime,
plus de la moitie du pays prete a abdiquer sa souverainete et a se remettre
entre les mains d'une force internationale pour avoir une chance d'etre
gouverne par une entite non corrompue

...en 3 mois, l'impensable est arrive pour des milliers d'Argentins qui
avaient le meme train de vie que le francais moyen.
Eux memes ne l'imaginent toujours pas.

 

Mais au dela de cette crise impensable, les argentins rencontres restent
d'une gentillesse et d'une hospitalite debordantes. Je retrouve les amis
rencontres dans le sud, Julio, Gabriela, Javier, tous aussi accueillants les
uns que les autres, alors meme qu'ils pourraient pester et hair le touriste
impudent. Il faut imaginer que le touriste jouit d'un pouvoir d'achat triple
en 4 mois.. alors que le leur est divise par le meme nombre..

La banque de Julio a fait faillite, Javier s'est fait licencier, Gabriela a
un salaire reel divise par trois.. elle s'estime pourtant relativement
epargnee, seule de sa famille a recevoir un salaire en pesos. Son pere, son
frere et sa soeur, fonctionnaires de l'etat, sont payes comme des milliers
d'argentins, en bons de l'etat uniquement. Les Locop, ou les Patacons, sont
des bons de substitution, qu'on leur promet de rembourser un jour contre des
especes sonnantes et trebuchantes... tout comme les bons de 1990, que l'on
vient de re-echeancer! Les promesses ne coutent pas cher, et comme dirait
Norma, les politicien argentins sont passes maitres dans l'art des histoires
de monstres et de la contine.

Tous les magasins n'acceptent pas forcement les paiments en bons, ils le
precisent sur les devantures. Certains ne veulent pas en entendre parler, ce
qui corse les choses, bien entendu.
La carte de credit non plus n'est pas toujours la bienvenue. Trop de comptes
vides, trop de magouilles. Elle ne sert quasiment plus qu'a retirer.. a
condition que le distributeur ne soit pas vide!

Pour les argentins aussi, cela parait de l'ordre du surnaturel. Le pere de
Gabriela m'explique qu'il avait l'habitude de se projeter dans l'avenir,
lorsqu'il a construit sa maison, lorsqu'il a fait des emprunts, il y a 20
ans. Que l'ancien monde leur permettait de faire des plans, des projets,
d'avoir une idee de la conduite de leur vie future. Aujourd'hui, rien de
cela n'est possible. Ils me demandent tous ce que pensent les europeens, si
le FMI va les aider ou pas. Le FMI, c'est vraiment le mot magique, ils ne
regardent plus que de ce cote la, comme si c'etait l'issue unique.

Parce que j'ai eu le malheur d'avouer que j'etais une traitresse de
banquiere dans mon ancienne vie, ils pensent que je dois en savoir plus, que
je peux anticiper le bon vouloir du FMI, ou leur expliquer ce qui arrive. Je
n'en sais helas pas plus que ce qu'ils lisent chaque jour dans le Clarin,
leur journal local : le FMI demande l'arret d'emission de ces fameux bons,
demande une nouvelle politique fiscale, etc.. et se heurte au trainage de
pied de Duhalde, le president interimaire et non elu qui essaie de se
concilier l'indulgence de la population, qui ne veut pas plus de lui que de
ses predecesseurs.

Les argentins ont un sens de l'humour et de l'autocritique tres developpe,
mais certains craignent reellement que le pays ne reste dans cette impasse
pendant des annees. Beaucoup d'amis de Gabriela ont deja fait leurs bagages
pour l'Espagne ou l'Italie. D'autres sont en voie de le faire, nous avons
passe des soirees dans des appartements vides prets a etre vendus, pour
pouvoir quitter le pays le plus rapidement possible. Mais cela devient de
plus en plus difficile, les administrations freinent les obtentions de
passeports, les controles sont de plus en plus vigoureux aux frontieres. Ces
trois derniers mois, on a recense une augmentation de 200% du nombre
d'emigrants par rapport a l'annee passee.

Gabriela et l'ensemble de ses amis sont avocats, et continuent a
relativement bien gagner leur vie, et a pouvoir supporter la recession sans
trop de difficulte. Mais c'est loin d'etre le cas de tout le monde, et dans
les rues du centre, on trouve une mendicite decuplee par rapport au mois de
janvier, lors de mon arrivee a Buenos Aires. Julio est le plus extreme dans
ses predictions, il attend une guerre civile, un soulevement violent et
incontrole. Pour le moment, tous sont dans l'attente, et chacun y va de sa
prediction, plus ou moins apocalyptique.

Gaston, qui est sur le depart pour Barcelone, quitte l'Argentine par manque
de patriotisme, me dit-il.. mais il est neanmoins persuade que le pays va se
relever rapidement. Pour lui, le probleme actuel vient de ce que les
etrangers possedaient tout, que les capitaux argentins n'etaient pas
investis dans l'appareil productif. Mais maintenant que les etrangers
partent en courant, l'industrie nationale va repartir, d'autant plus
fortement que les importations de produits etrangers sont rendues presque
impossibles par la force du dollar.

Rendez vous en 2010, pour en juger..

 

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